Monday, January 31, 2011

L'Égypte vers «une ère nouvelle»

Des opposants désignent Mohamed el-Baradei pour négocier. Ottawa annonce un plan d'évacuation des Canadiens.

Mélissa Guillemette 31 janvier 2011 Afrique
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Photo : Agence Reuters Asmaa Waguih
La pression ne diminue pas en Égypte. Au Caire, des milliers de manifestants ont encore réclamé hier le départ du président Hosni Moubarak.
Les groupes d'opposition en Égypte se sont unis pour confier la mission de négociation vers un nouveau régime à Mohamed el-Baradei, ancien chef de l'Agence internationale de l'énergie atomique et Prix Nobel de la paix. Pendant ce temps, le ministre des Affaires étrangères du Canada annonçait un plan d'évacuation des ressortissants canadiens, signe que la crise est prise au sérieux à Ottawa.

Mohamed el-Baradei, assigné à résidence depuis vendredi par les autorités égyptiennes, est sorti hier pour se joindre aux manifestants au centre du Caire, mégaphone en main. Mandaté par plusieurs groupes, dont la principale force d'opposition, la confrérie islamiste des Frères musulmans, il a promis une «ère nouvelle», exactement ce que les Égyptiens demandent depuis bientôt une semaine: le départ du président de l'Égypte depuis 30 ans, Hosni Moubarak. «Je vous demande de patienter, le changement arrive», a déclaré Mohamed el-Baradei aux manifestants qui scandaient toujours: «Le peuple veut la chute du président!»

Malgré un changement de gouvernement orchestré par le président ce week-end, la pression n'a pas diminué en Égypte, où le bilan en est à 125 morts depuis mardi dernier.

Devant ce climat des plus tendus, le gouvernement Harper a invité hier les Canadiens qui vivent ou séjournent en Égypte à quitter ce pays, après que les États-Unis, Israël et la Turquie eurent fait la même annonce. Il a mis en place un plan d'évacuation qui pourrait dès ce matin permettre de transférer vers l'Europe entre 750 et 800 personnes.

L'annonce de ce plan d'évacuation a été faite hier, à Ottawa, par le ministre des Affaires étrangères, Lawrence Cannon, qui évalue à environ 6500 le nombre de Canadiens qui pourraient se trouver en sol égyptien. Selon le ministre, le Canada n'a aucune information lui permettant de dire que des Canadiens auraient été blessés ou tués.

Marie-Joëlle Zahar, professeure spécialiste des questions de sécurité au Moyen-Orient à l'Université de Montréal, estime qu'il ne faut pas voir dans la «nomination» d'El-Baradei à la tête des négociations un tournant dans la crise qui ébranle l'Égypte. Du moins, pas pour l'instant. «Sa présence, à part donner l'impression au peuple que des leaders se joignent à eux, n'a pas encore un grand impact ni sur le peuple ni sur la communauté internationale, qui continue à s'inquiéter de la stabilité de l'Égypte. Même chose pour le régime.» À plus long terme, la présence de Mohamed el-Baradei, combinée à celle d'autres intellectuels et figures connues d'Égypte, pourrait toutefois indiquer à la communauté internationale qu'il y a possibilité d'un avenir stable malgré une transition du pouvoir, ajoute-t-elle.

Al-Jazeera bloquée

Après Internet et les services de téléphonie, le gouvernement égyptien a bloqué l'accès à l'information. Hier midi, la chaîne Al-Jazeera, qui contribue largement à faire circuler les images partout dans le monde, a perdu ses droits de diffusion sur le principal réseau satellite égyptien, Nilesat, propriété de l'État. Les autorités égyptiennes ont aussi ordonné la fermeture des bureaux d'Al-Jazeera au Caire, en plus de retirer les cartes de presse des journalistes.

«En ces temps de profonde tourmente et de troubles dans la société égyptienne, il est impératif que les voix de toutes les parties soient entendues; la fermeture de notre bureau en Égypte vise à établir une censure et à faire taire les voix du peuple égyptien», a dit un porte-parole de la chaîne, avant de préciser qu'Al-Jazeera continuera à diffuser sur les autres réseaux. La chaîne a également disparu des télévisions tunisiennes, algériennes et turques, car Nilesat y est aussi présent.

Marie-Joëlle Zahar doute de l'efficacité de la mesure pour le régime de Moubarak, puisque les informations parviennent quand même aux Égyptiens, qui ont rapidement trouvé le moyen de contourner les blocages d'Internet et des services mobiles. «Le régime cherche à limiter un certain type d'information, pour privilégier plutôt des chaînes comme Al Arabiya, qui présente une vision partiale de la situation: on y montre surtout les pillages. Mais à la fois en termes de message que le régime envoie et d'efficacité, je pense que cette décision va lui retomber dessus.»

Nouveau gouvernement

Le président égyptien, Hosni Moubarak, s'accroche toujours au pouvoir, bien qu'il ait présenté un nouveau gouvernement samedi, en réponse aux soulèvements populaires. Il a promis des réformes sociales et économiques, et les médias officiels rapportaient hier qu'il avait chargé son nouveau premier ministre de «promouvoir la démocratie» et d'entreprendre «un dialogue» avec l'opposition.

À Montréal, la communauté égyptienne se réunira tous les jours devant le consulat égyptien, entre 17 et 18 heures, «jusqu'à la victoire». Le Montréalais Ossama Allam s'y trouvait hier, pour une cinquième journée cette semaine. «Tous les jours où il y aura des gens dans les rues d'Égypte, nous serons dans la rue à Montréal aussi. Nos familles là-bas savent que nous sommes sortis pour eux.» Il attend toujours que le gouvernement canadien qualifie les réactions du régime aux soulèvements d'«inacceptables». Le gouvernement canadien refuse de s'ingérer dans les affaires égyptiennes en prenant fait et cause pour un parti ou pour l'autre.

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Avec la collaboration de Louis-Gilles Francoeur

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Avec l'Agence France-Presse

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